La France se met à l’heure des compétences : réforme de la formation professionnelle avec la création de l’agence France compétences comme nouvel agent de régulation des formations et de transformation des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) en opérateurs de compétences, plan d’investissement dans les compétences (PIC) pour les publics peu qualifiés et éloignés de l’emploi, certificationdes aptitudes, observatoires des métiers et des compétences… On parle même de « révolution des compétences » !
On ne peut que s’en féliciter. Mais, à y regarder de près, l’arbre ne cache-t-il pas la forêt ? Car une grande absente fragilise ce beau discours : la compétence collective. Tous ces projets et réalisations ne sont fondés que sur des raisonnements en termes de capacités individuelles. N’est-ce pas là leurs limites, alors que les gains de performance des entreprises vont dépendre de plus en plus non pas de l’addition de compétences individuelles, mais d’un effet de système provenant de la qualité des interfaces entre les professionnels au sein de leurs unités de travail ?
Dans le domaine de la recherche, les neuroscientifiques ne peuvent avancer dans leurs travaux consacrés à la maladie d’Alzheimer qu’en coopérant avec des mathématiciens
Pour faire face à la complexité croissante des situations professionnelles, où il faut prendre en compte la variété de points de vue des acteurs et des critères (productivité, qualité, sécurité, développement durable, éthique…), les ressources en compétences d’un seul professionnel ne peuvent suffire. Dans un hôpital, la qualité d’un parcours de soins va dépendre non pas de la seule succession des compétences des médecins, infirmiers, aides-soignants, assistants sociaux…, mais de la qualité de leur coopération. Dans l’industrie automobile, les exigences de l’innovation conduisent à développer des politiques d’alliance avec d’autres constructeurs et fournisseurs. Les cotraitants sont sélectionnés sur leurs capacités à coopérer avec le constructeur dans le cadre d’une ingénierie justement appelée « concourante ». Dans le domaine de la recherche, les neuroscientifiques ne peuvent avancer dans leurs travaux consacrés à la maladie d’Alzheimer qu’en coopérant avec des mathématiciens, etc.
Comment un courtier de société d’assurances pourrait-il répondre de façon pertinente à un client sans le support d’une plate-forme de banques de données et d’experts ? Comment un agent du service social d’un conseil général pourrait-il réaliser ses activités de prévention sans faire appel aux savoir-faire des services juridiques et de la direction médico-sociale de la collectivité territoriale ? Bref, un professionnel peut de moins en moins être compétent tout seul, avec uniquement ses propres ressources en connaissances ou savoir-faire.